que j’eusse éprouvées de ma vie. Il fallut cette fois encore laisser là les comédies et rester au lit à souffrir, et à souffrir doublement ; car ce fut juste au mois de septembre que ce cher abbé de Caluso, qui depuis plusieurs années nous promettait une visite en Toscane, arriva à Florence, où il ne pouvait rester qu’un mois tout au plus. Il venait reprendre son frère aîné, qui depuis deux ans s’était retiré à Pise, pour échapper à l’esclavage du Piémont francisé. Cette année même, une loi émanée de cette soi-disant liberté enjoignait à tous les Piémontais de rentrer dans leur cage, à tel jour du mois de septembre, s’ils ne voulaient voir, selon l’usage, leurs biens confisqués et eux-mêmes bannis des bienheureux états de cette incroyable république. J’éprouvai donc une grande douceur à revoir ce bon abbé de retour à Florence, où la fatalité voulait qu’il me trouvât au lit, comme il m’y avait laissé, en Alsace, quinze ans auparavant, la dernière fois que nous nous étions vus ; mais cette joie était mêlée d’une cruelle amertume, empêché comme je l’étais, et ne pouvant ni me lever, ni bouger, ni m’occuper de rien. Je lui fis lire cependant mes traductions du grec, les Satires, le Térence, le Virgile, en un mot tout ce que j’avais en portefeuille, à l’exception des comédies, dont je n’ai encore rien lu à âme qui vive, pas même le titre, tant que je ne les vois pas arrivées à bon terme. Mon ami parut généralement satisfait de mes travaux ; il me donna de vive voix, et même par écrit, de fraternels et lumineux avis sur mes traductions du grec. J’en
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