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la colonne du texte, et voir si je pourrais y saisir le son de quelques mots, de ceux du moins qui, étant composés ou ayant un air étrange, me donnaient dans les traductions la curiosité de recourir au texte ; et en effet, de temps à autre, je jetais de côté, sur les caractères de la colonne où il se trouvait, un coup d’œil sournois, à peu près comme le Renard de la fable sur la grappe défendue après laquelle il soupirait en vain. Il s’y joignait pour moi un obstacle matériel difficile à surmonter : mes yeux ne pouvaient se faire à ce caractère maudit ; qu’il fût grand ou petit, lié ou isolé, ma vue se troublait dès que je voulais l’y arrêter, et c’était à peine si, en épelant, je pouvais en arracher un mot chaque fois, et encore les plus courts ; mais un vers entier, jamais je n’aurais pu le lire, ni le fixer, ni le prononcer, moins encore en retenir par cœur l’harmonie.

Je ne savais en outre comment m’y prendre, ennemi par nature et désormais incapable d’une application servile de l’esprit et de l’œil aux choses de la grammaire, n’ayant d’ailleurs aucune facilité pour l’étude des langues (j’avais essayé de l’anglais à deux ou trois reprises, et je n’avais jamais pu en venir à bout), parvenu à l’âge où j’étais sans avoir de ma vie appris aucune grammaire, pas même l’italienne, à laquelle je manquais bien rarement, mais par simple habitude des livres plutôt que par des principes dont j’aurais été fort en peine de dire la raison et le nom ; avec tout ce beau cortège d’empêchemens physiques et moraux, dé-