je viens de passer tout entières à corriger mes œuvres et à les imprimer, je ne puis, ni ne sais me créer une occupation louable. J’ai cependant reçu et je reçois encore de tous côtés la nouvelle que l’édition de mes tragédies arrive à sa destination ; on ajoute qu’elles se débitent et ne déplaisent pas. Mais comme ces nouvelles me sont transmises par des amis ou par des personnes qui me veulent du bien, je ne me fais pas grande illusion sur ce point. J’ai pris avec moi-même l’engagement de n’accepter ni compliment, ni blâme, s’ils ne sont, l’un et l’autre, accompagnés de leur pourquoi. Et ces pourquoi, je les veux clairs et de nature à tourner au profit de l’art et du poète. Mais de ces pourquoi, il ne s’en rencontre guère, et jusqu’ici il ne m’en est parvenu aucun ; aussi tout le reste est-il à mes yeux comme non avenu. Ces choses, je les savais fort bien d’avance ; néanmoins elles ne m’ont pas rendu plus économe de ma peine ni de mes loisirs, pour arriver au mieux, autant qu’il était en moi. Peut-être, avec les années, ma mémoire en sera-t-elle plus honorée, puisque ayant devant les yeux un tel sujet de désenchantement, j’ai si obstinément persisté à vouloir bien faire, plutôt qu’à faire vite, et à ne flatter que la vérité.
Pour ce qui regarde les divers ouvrages que j’ai fait imprimer à Kehl, je ne veux, sur les six, publier pour le moment que les deux premiers, c’est-à-dire, l’Amérique libre et la Vertu méconnue, et je réserve les autres pour des temps moins orageux où nul ne sera tenté de m’adresser le reproche