de cinq mille livres de ma pension annuelle en un capital de cent mille livres de Piémont, que ma sœur devait me compter. Ce nouvel arrangement souffrit un peu plus de difficulté que le premier ; mais le roi finit encore par consentir à ce que cette somme me fût livrée, et je la plaçai ensuite avec d’autres dans un de ces établissemens si communs en France et si chanceux qui servent des rentes viagères. Or si je me fiais médiocrement au roi de Sardaigne, je n’avais guère plus de confiance dans le roi très-chrétien. Mais il me semblait qu’en partageant ainsi ma fortune entre deux tyrannies diverses, je risquais peut-être un peu moins, et qu’à défaut de ma bourse, je sauvais du moins ma plume et mon intelligence.
Ce fut pour moi une époque importante, décisive, que celle où je fis cette donation, et je n’ai cessé depuis d’en bénir le ciel et l’heureuse issue. Mais je n’en dis rien à mon amie qu’après en avoir rendu l’acte principal irrévocable et définitif. Je ne voulus pas mettre la délicatesse de son âme à l’épreuve ou de la blâmer comme contraire à mes intérêts et de l’empêcher, ou de la louer, et de l’approuver comme favorable sous quelques rapports à la durée, à la sécurité de notre amour mutuel, cette résolution devant m’ôter à l’avenir toute pensée de m’éloigner d’elle. Lorsqu’elle l’apprit, elle la blâma avec une candeur ingénue qui n’appartient qu’à elle ; mais ne pouvant l’empêcher, elle se résigna et me pardonna de lui en avoir fait un mystère, peut-être m’en aima-t-elle davantage, et son estime en augmenta.