écrits les plus innocens, la chose devenait alors très-problématique, et mes moyens d’existence, ma gloire, ma liberté même restaient complètement à la merci de ce pouvoir absolu qui, blessé nécessairement de ma façon de penser, d’écrire et d’agir avec le généreux dédain d’un homme libre, n’aurait eu garde assurément de me seconder dans le dessein de me soustraire à sa dépendance.
Il y avait alors en Piémont une loi qui portait : « Il sera également interdit à qui que ce soit de faire imprimer des livres ou d’autres écrits, hors de nos états, sans la permission des censeurs, sous peine d’une amende de soixante écus ou autre châtiment plus grave, et même corporel, si les circonstances le rendent nécessaire pour l’exemple de tous. » De cette loi il faut en rapprocher cette autre qui disait : « Les sujets qui habitent nos états ne pourront s’absenter desdits états sans notre autorisation écrite. » Entre ces deux entraves il sera aisé de conclure que je ne pouvais en même temps devenir auteur et rester sujet. Je préférai donc être auteur. Et profondément ennemi comme je l’étais de tout subterfuge et de tout délai, je pris pour me désassujettir la voie la plus courte et la plus unie ; vivant, je fis une donation complète de tous mes immeubles libres ou féodaux (ce qui faisait plus des deux tiers du tout) à mon héritier légitime, je veux dire à ma sœur Julie, qui avait épousé, comme on l’a vu, le comte de Cumiana. Je la fis dans la forme la plus solennelle, la plus irrévocable, ne me réservant qu’une pension annuelle de quatorze