Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nos voisins, église abandonnée, qui ne réunissait jamais quarante personnes dans son immense nef. Néanmoins ce châtiment m’affligea si fort, que pendant plus de trois mois je ne méritai aucun reproche. Parmi les raisons que j’en cherchai plus tard en moi-même, quand je voulus me rendre bien compte de cette impression, j’en trouvai deux principales qui résolurent tous mes doutes : l’une, c’était la pensée que tous les yeux devaient nécessairement se fixer sur le réseau, que je devais être bien ridicule et bien laid dans cet accoutrement, et que tout le monde allait me prendre pour un véritable malfaiteur, me voyant puni d’une manière si terrible ; l’autre raison, c’est que je craignais d’être vu ainsi par mes chers petits novices, et cette idée me déchirait le cœur. Ne voilà-t-il pas, dans une miniature d’homme, votre portrait, mon cher lecteur, et celui de tous les hommes qui ont vécu ou qui vivront ? car, à le bien prendre, nous sommes tous des enfans condamnés à n’être toujours que des enfans.

Mais l’effet extraordinaire que ce châtiment avait produit sur moi remplit de joie mes parens et mon précepteur. A la moindre apparence d’une faute, menacé du réseau abhorré, je me hâtais de rentrer dans le devoir, tout tremblant. Cependant, comme il m’arriva, certain jour, de commettre une faute plus qu’ordinaire, et de m’en excuser auprès de ma respectable mère par un solennel mensonge, je me vis une seconde fois condamné au réseau, et de plus il fut décidé qu’au lieu d’aller à l’église dé-