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Cependant comme les vers ne sont pas trop mauvais, j’ai voulu les conserver presque tous, et leur donner place dans mes œuvres. Ceux qui entendent quelque chose à la poésie pourront y remarquer, jour par jour, les progrès que je faisais dans cet art si difficile de bien dire, art sans lequel ne saurait vivre le sonnet le mieux conçu et le mieux conduit.

1777. Ces progrès manifestes dans l’art des vers, cette prose de Salluste amenée à une grande précision, qui pourtant ne coûtait rien à la clarté, mais encore dépourvue de cette harmonie variée qui n’appartient qu’à la prose et en est le caractère essentiel, m’avaient rempli le cœur d’espérances ardentes. Mais comme ces efforts, ces tentatives avaient toujours pour premier, et alors pour unique but, de me former un style à moi et qui fût propre à la tragédie, de ces occupations secondaires, j’essayais quelquefois de remonter à la principale. Au mois d’avril 1777, je mis en vers l’Antigone, dont j’avais fait le plan, et que j’avais écrite, comme je l’ai dit, un an peut-être auparavant et pendant mon séjour à Pise. J’achevai ce travail en moins de trois semaines, et voyant que j’avais acquis une certaine facilité, je crus avoir fait un grand pas. Mais ayant lu mon œuvre dans une société littéraire qui nous réunissait presque tous les soirs, j’ouvris les yeux, et malgré les éloges de mes auditeurs, je m’aperçus, à ma grande douleur, que j’étais véritablement bien loin encore de cette façon de dire dont l’idéal était si profondément gravé dans mon esprit, sans qu’il me fût pos-