liennes, il me vint une honte honnête et cuisante de ne plus entendre le latin ; à ce point que, rencontrant çà et là, comme il arrive, des citations, souvent même les plus courtes et les plus simples, je me voyais forcé de sauter à pieds joints par-dessus, pour ne perdre pas mon temps à en déchiffrer le sens. M’étant d’ailleurs interdit toute lecture française, et réduit au seul italien, je me voyais privé de tout secours pour mes lectures dramatiques. Cette raison, venant se joindre à la honte, me fit entreprendre ce nouveau labeur, pour lire les tragédies de Sénèque, dont quelques morceaux sublimes m’avaient enlevé. Je voulais pouvoir lire aussi en latin les traductions littérales que l’on a faites des tragédies grecques, plus fidèles pour l’ordinaire et moins fastidieuses que tant d’autres qui, pour être en italien, ne servent pas à grand’chose. Je m’armai donc de patience, et je pris un fort bon maître qui, m’ayant mis Phèdre entre les mains, s’aperçut, à sa grande surprise et à ma honte, et me dit que je ne l’entendais pas, bien que déjà j’eusse expliqué ces fables à l’âge de dix ans. En effet, quand je voulus me mettre à le lire et à le traduire en italien, je tombai dans d’énormes bévues et dans d’étranges méprises. Mais mon intrépide maître, ayant avec la mesure de mon ignorance celle de mon indomptable résolution, m’encouragea vivement, et au lieu de me laisser Phèdre, il me donna Horace en me disant : « Si nous allions du difficile au facile ? nous ferions chose plus digne de vous. Risquons-nous donc sur les écueils
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