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Non content d’avoir ennuyé le bon père Paciaudi pour lui arracher une censure de mon second essai, j’allai encore en importuner beaucoup d’honnêtes


ISMÈNE.

Si tu as pitié de toi-même, réprime ces mouvemens d’un cœur désespéré ; tu n’as d’autre crainte que de ne pas revoir ce fidèle amant ? Tu ignores encore s’il est vainqueur ou vaincu, s’il est ou s’il n’est plus…

CLÉOPÂTRE.

Et s’il vivait encore, de quel front, de quel air oserais-je m’offrir à lui, après l’avoir trahi ? Quelle est donc cette majesté secrète de la vertu, qu’un coupable ne puisse soutenir même ses regards ?

ISMÈNE.

Non, reine, il n’est pas si coupable, le cœur qui éprouve encore de tels remords…

CLÉOPÂTRE.

Oh ! oui, je sens des remords, et la nuit, et le jour ; seule ou au milieu de vous, partout ils me poursuivent, et leur aspect funeste ne me laisse pas un seul moment de repos ; mais vainement ils crient. Ils ne serviront qu’à pousser mon âme à de plus sombres résolutions. Ne sais-tu pas quel est mon cœur ? Je roule dans mon âme mille noires pensées. Mais le doute cruel, pire que tous les maux, me défend toujours un choix, hélas ! trop nécessaire.

ISMÈNE[1].

Pourquoi, ô Cléopâtre ! as-tu la première livré au souffle

  1. Ces interpellations d’Ismène, beaucoup plus dignes d’un juge fiscal que de la confidente d’une reine, m’ont tant soit peu diverti et m’ont soulagé, en me faisant rire, de l’ennui de recopier cela (A).