à déplorer la facilité vulgaire et la fastidieuse abondance. Mais bientôt ma nouvelle emplette me devint chère, lorsque par elle je vis alors, et pour toujours, établis dans ma maison ces six luminaires éclatans de la langue italienne, en qui tout se retrouve, je veux dire : Dante, Pétrarque, Arioste, le Tasse, Bocace et Machiavel. Hélas ! pour mon malheur et à ma honte, j’étais arrivé à près de vingt-deux ans sans en avoir jamais rien lu, si l’on excepte quelques fragmens de l’Arioste dans ma première adolescence, à l’académie, comme il me semble l’avoir dit en son lieu.
Ainsi armé de ce fort bouclier contre l’ennui et l’oisiveté, ce qui ne m’empêchait pas de rester oisif, et d’ennuyer les autres en m’ennuyant moi-même, je partis pour l’Espagne vers le milieu d’août. Je traversai les yeux fermés Orléans, Tours, Poitiers, Bordeaux et Toulouse, la plus belle et la plus riante partie de la France, et j’entrai en Espagne par la route de Perpignan. Barcelonne fut la première ville où je m’arrêtai un moment, depuis Paris. Durant tout ce long trajet, où je ne faisais guère que pleurer, toujours seul dans ma voiture ou à cheval, j’ouvrais cependant, de loin en loin, quelques volumes de mon cher Montaigne, que depuis près d’un an je n’avais pas regardé. Cette lecture quittée et reprise tour à tour me rendait un peu de courage et de bon sens. J’y trouvai aussi une espèce de consolation. Mes chevaux anglais étaient restés en Angleterre, et je les avais tous vendus, à l’exception du plus beau,