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aussi pour toute autre raison que je ne saurais dire ; le fait est que, si je voulais passer ma vie dans le nord, je préférerais à tout ce que j’en connais cette extrémité de l’Europe. La constitution mixte qui régit la Suède, combinée de telle sorte dans son équilibre, qu’une demi-liberté y perce encore par intervalle, m’inspira quelque curiosité de la connaître à fond. Mais toujours peu capable d’une application sérieuse et continue, je ne l’étudiai que superficiellement ; toutefois j’en compris assez pour m’en former une idée dans ma petite tête. L’indulgence des quatre classes appelées à voter, et l’excessive corruption de la classe noble des bourgeois des villes favorisaient l’influence vénale qu’obtenait à prix d’or la politique corruptrice de la Russie et de la France, et il en résultait qu’il ne pouvait y avoir en Suède ni harmonie entre les ordres, ni résolutions efficaces, ni juste et durable liberté. Je continuai à me lancer en traîneau dans la profondeur de ces forêts sombres et sur ces grands lacs glacés, et cette fureur me dura jusques au-delà du 20 d’avril ; alors il fallut à peine quatre jours pour fondre toute cette glace avec la plus incroyable rapidité, grâce à la permanence du soleil sur l’horizon, et à la tiédeur des vents de mer. À mesure que s’écoulaient ces masses de neige, où il se trouvait jusqu’à dix couches entassées l’une sur l'autre, on voyait poindre la fraîche verdure. Spectacle vraiment étrange, et qui eût été pour moi une source de poésie, si j’avais su faire des vers.