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turelle de mes dix-neuf ans, tout cela peu à peu soulagea mes ennuis ; et, quoiqu’il fallût encore bien du temps à mon ame pour qu’elle achevât de guérir, la raison me revint tout entière dans l’espace de quelques jours.

Ainsi converti à de plus sages pensées, mais toujours fort affligé, je me décidai à repartir pour l’Italie, ne pouvant soutenir la vue de ce pays et de ces lieux, auxquels je redemandais en vain un bonheur perdu presque aussitôt que possédé. J’éprouvais encore une vive douleur à me séparer d’un tel ami ; mais, me voyant profondément blessé, il m’encourageait lui-même à partir, bien persuadé que le mouvement, la nouveauté des objets, l’absence et le temps ne pouvaient manquer de me guérir.

Vers le milieu de septembre, je m’arrachai des bras de mon ami, qui avait voulu m’accompagner jusqu’à Utrecht ; je pris la route de Bruxelles, et m’en allai par la Lorraine, l’Alsace, la Suisse et la Savoie, ne m’arrêtant plus, jusqu’en Piémont, que pour dormir ; en moins de trois semaines, je me retrouvai à Cumiana, dans la villa de ma sœur, où, de Suze, je me rendis en droite ligne, sans passer par Turin, pour éviter tout commerce avec les hommes. J’avais besoin d’exhaler le reste de ma fièvre en pleine solitude. Tout le temps que dura le voyage, de toutes les villes où je passai, Nancy, Strasbourg, Bâle et Genève, je ne vis que les murs ; je n’échangeai pas une seule parole avec mon fidèle Élie, qui, se conformant à mon infirmité,