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cris redoublent, le peuple devient furieux ; le prêtre était à la section, des administrateurs voulaient le sauver, d’autres le faire périr. Au milieu de ces hurlements, nous cherchons à fuir, nous descendons, il y avait du peuple plein la rue ; à l’autre bout, par où nous passions pour retourner aux Champs-Élysées, on cassait les vitres d’un limonadier aristocrate ; cependant on ne nous dit absolument rien ; à peine étions-nous partis, qu’on jeta par la fenêtre le malheureux prêtre : il fut mis en pièces par le peuple.

Le 9 août, M. Grémion[1], Suisse, officier de la garde constitutionnelle du Roi, vint occuper un très petit logement que M. de Diesbach s’était réservé dans l’hôtel ; il arriva le soir et, par un heureux hasard, personne ne le vit entrer. On disait qu’il y aurait du bruit le lendemain. M. de Lescure devait aller coucher au château ; M. de Montmorin, de Fontainebleau, son ami intime, logeait près de notre hôtel, étant resté comme lui par ordre du Roi ; il devait venir le prendre ; il était fort au fait de tout ce qui se passait au château, car le Roi avait une confiance particulière en lui, depuis la révolution. Il vint et dit à M. de Lescure : « Il est inutile que vous alliez aux Tuileries, j’en arrive, on a rapporté d’une manière positive au Roi, qu’il ne devait être attaqué que le 12 ; il y aura cependant du bruit cette nuit, mais on sait que l’insurrection sera dirigée contre l’arsenal : le peuple veut s’emparer des poudres, cinq mille hommes de la garde nationale sont commandés pour l’empêcher. Vous entendrez peut-être beaucoup de bruit, ne vous en inquiétez pas et soyez sûr que cela ne regarde pas le château ; restez tranquille, moi j’y retourne, parce que je suis prié à souper chez Mme de Tourzel. » On voit par là combien on avait trompé la Cour. Nous allâmes nous coucher tranquillement, comptant qu’il n’y aurait rien le lendemain.

  1. François-Maurice Grémion, né à Gruyère, près Fribourg, en 1749, soldat aux gardes suisses en 1766, adjudant en 1779, chevalier de Saint-Louis en 1791, aide de camp du général de Pont-l’Abbé, qui commandait l’infanterie de la garde constitutionnelle du Roi.