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tout dans la plus profonde tranquillité ; heureusement ils rentrèrent, car l’instant d’après, la minute avant que le peuple envahît, nos domestiques vinrent dire que les gardes du corps étaient devenus fous ; deux, courant à toutes jambes, avaient voulu entrer, on avait fermé la porte sur eux. Alors maman, ne pouvant plus tenir à ses inquiétudes, demanda à la sentinelle de la garde nationale, qui était à la porte de la cour de l’Opéra, sous ses fenêtres (mais elles étaient élevées à une hauteur énorme sur la rue), ce qui se passait dans la cour des Ministres, où elle voyait toujours le peuple dans la même agitation. Il dit : « Ce sont les gardes du corps, madame, » et il fit signe qu’on leur coupait la tête. Il n’était resté à Versailles que ceux de service, environ deux cents : ils furent poursuivis, plusieurs tués en se défendant en héros, la plupart se sauvèrent par mille déguisements. D’ailleurs on ne cherchait certainement pas à en tuer beaucoup, les meneurs surent bien arrêter le peuple, quand ils le voulurent.

On peut imaginer l’état dans lequel nous étions, en apprenant qu’on tuait les gardes du corps ; plusieurs exempts, qui demeuraient près de notre appartement, vinrent s’y cacher ; nous donnâmes des habits à des gardes qui étaient réfugiés chez nous, nos domestiques en sauvèrent beaucoup. Nous étions dans la plus horrible inquiétude, on pensait voir massacrer toutes les personnes du château ; le peuple et la garde nationale de Paris étaient dans les cours ; on apprit qu’on avait gagné le régiment de Flandre dans la nuit, on avait emporté ses drapeaux. Les soldats les voyant sur la place d’Armes, passèrent par-dessus la grille ; alors on s’empara de chaque soldat, on lui prodigua le vin et l’argent ; ces hommes, indignés de rester sans cartouches, d’avoir eu leurs canons enlevés, d’avoir été enfermés toute la nuit sous clef, furent bientôt gagnés et se mêlèrent au peuple ; ils ne participèrent point cependant aux assassinats.

Profitant de ce que la foule se portait dans les cours et de ce