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de ceux qui croyaient que son gendre, M. de la Fayette, arrivait. On lui amena M. de Calvimont pour le convaincre ; il lui répondit tranquillement : « Monsieur, vous dites que les troupes ont commencé à se mettre en marche à midi, il est neuf heures, elles devraient être arrivées ; c’est donc qu’elles sont retournées ; tout ce que vous dites n’a pas le sens commun. » Et il ne voulut plus rien entendre. Il y avait aussi, dans l’Œil-de-Bœuf certaines personnes qui ne montraient ni crainte, ni affliction, entre autres Mme de Staël[1], qui avait un gros bouquet et riait aux éclats.

Le Roi était enfermé avec les ministres, personne ne pouvait le voir, tout était en confusion. Pendant ce temps, on fit entrer dans son cabinet une députation de cette canaille venue de Paris : c’étaient des filles habillées en poissardes ; on lui fit aussi sanctionner des décrets.

Au milieu de ce désordre, nous allons chez Mesdames ; Madame Victoire était chez Madame Adélaïde, nous y entrons, il y avait beaucoup de personnes de leur maison. Mesdames étaient calmes, malgré les cris qu’on poussait au dehors, et montraient beaucoup de courage. [Je crois encore entendre Madame Adélaïde dire noblement : « Nous leur apprendrons à mourir. »] Elles firent fermer seulement les volets, la chambre étant sur la terrasse, au rez-de-chaussée. À chaque instant, on venait donner des nouvelles contradictoires. Le comte de Narbonne-Lara[2], qui depuis a été ministre, alors chevalier d’honneur de Madame Adélaïde et grand ami de M. de la Fayette, arrive à onze heures et demie chez Mesdames ; il venait

  1. Anne-Louise-Germaine Necker, née à Paris en 1766, mariée en 1786 au baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède en France. Exilée de Paris en 1802, puis internée à Coppet, en Suisse, en 1810, elle s’évada en 1812 et mourut à Paris le 14 juillet 1817.
  2. Louis-Marie-Jacques-Amalric de Narbonne-Lara, né le 23 août 1755, à Colorno, duché de Parme ; maréchal de camp et ministre de la Guerre en 1791, plus tard aide de camp de Napoléon, ambassadeur de France ; mort à Torgau, en Saxe, le 17 novembre 1813.