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court lui répond : « Il fait tout ce qu’il peut pour vous soulager ; il peut être moins adroit que les autres, mais il est aussi attentif, et le refus que vous ferez de son service le désespérera. » Alors le Dauphin s’écrie : « Ah ! sonnez, j’aime bien mieux souffrir que de faire de la peine à un brave homme. » Il était raisonnable comme à quarante ans ; on lui lisait de bons ouvrages d’histoire et de littérature, et ses réflexions étonnaient. Un jour qu’on lui lisait la tragédie de Mérope, à ce vers :

Le premier qui fut roi fut un soldat heureux,


il interrompit le lecteur, en disant « Je n’aime pas ce vers-là. » À sa mort, un de ses valets de chambre, qu’on réveilla pour lui dire : M. le Dauphin n’existe plus, expira dans l’instant de douleur.

Mme [1] et Mlles  de Sérent revinrent six semaines après leur départ. Tout le monde se faisait illusion, à la réserve de maman, qui prévoyait les plus grands malheurs, et d’un bien petit nombre de personnes.

Je fus témoin d’une chose qui me fit de la peine ; je rentrais de me promener, le Roi avait fait venir deux cents chasseurs à Versailles, vers le mois de septembre. C’étaient les chasseurs des Trois-Évêchés, auparavant dragons de Lescure[2], du régiment de mon beau-père. On avait mis toutes les formes constitutionnelles nouvelles pour les faire arriver. Ils se présentent à la grille du Dragon, le peuple s’ameute, ferme la grille, jette des pierres aux chasseurs ; on les laisse là, mourant de faim. Sur les cinq heures, le Roi revient de la chasse ; ils crient : « Vive le Roi ! » et celui-ci passe sans s’arrêter, au lieu de leur dire de le suivre

  1. Bonne-Marie-Félicité de Montmorency-Luxembourg, née le 18 février 1739, mariée, le 23 janvier 1754, à Armand-Louis, comte, depuis duc de Sérent ; dame d’honneur de Madame la duchesse d’Angoulême ; morte au palais des Tuileries le 14 février 1823.
  2. Le 17e dragons, devenu en 1788 régiment des Évêchés, et ensuite 2e régiment de chasseurs à cheval.