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Ces jeunes seins, plus frais que la rose d’été !
Je reconnus Mary-Morgan, celle qui tue.

Distraite, elle peignait ses cheveux merveilleux
Qui, légers, s’envolaient sur l’Océan farouche.
Toute la volupté frétillait sur sa bouche,
Tout l’infini du mal éclatait dans ses yeux.

Elle chantait, la fée implacablement blonde,
La perte inévitable et l’impossible amour,
Et sa voix douloureuse et folle tour à tour,
Sa voix d’argent semblait venir d’un autre monde.

Parfois elle priait délicieusement :
On eût dit une lente et subtile caresse.
Puis elle commandait durement, en maîtresse,
Et bientôt s’éplorait comme une âme en tourment.

Mais diabolique ou tendre, amoureux ou terrible,
Ce chant, comme une vague immense, emportait tout.
Il vous aspirait l’âme et le cœur d’un seul coup.
Son appel vers la mort était irrésistible.

Les damnés de là-bas l’avaient-ils entendu ?
Sans doute. Car leur cri m’arrivait plus sauvage.
Une clameur montait de la mer sans rivage :
— Ahès, Ahès, l’horrible Ahès qui m’a perdu !