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— Mais il n’y aura pas assez de place pour contenir tout le monde sur les rives du Cédron ?

— C’est peut être une figure et ce sera certainement un miracle opina l’abbé d’un air convaincu ; mais j’y crois, car c’est pour nous, pauvres mortels, une grande consolation de se dire que nous pourrons retrouver là tous ceux que nous avons aimés sur cette terre de larmes…

— C’est justement ce que je me suis dit souvent, répliqua le baron de Poullaouen, les yeux fixés au plafond, du ton vague et perdu d’un homme qui poursuit un rêve lointain, tout éveillé.

— Allons, l’abbé, fis-je en lui versant une bonne rasade de fine champagne et comme onze heures et demie sonnait, le curé prit congé pour aller surveiller les préparatifs de la messe de Minuit.

Les amis partirent, mais comme il neigeait depuis une demi-heure, le baron, tout frissonnant, déclara qu’il n’irait pas à l’église et qu’il allait rester au coin du feu, à me tenir compagnie, en attendant la rentrée de ses gens, auquel il offrait, lui, pour de bon, le traditionnel réveillon, composé de charcuterie, arrosée de quelques pichets de cidre.

Et tranquillement, ayant repris, lui sa pipe et moi la mienne, les pieds devant un beau feu clair, tandis que la neige tombait en rafales au-dehors et que nos chiens, entourant frileusement les hauts landiers ancestraux, nous offraient de chauds tabourets avec leurs croupes assoupies, nous continuâmes la conversation interrompue.

— Ainsi, tu as entendu l’opinion du curé, il croit à la résurrection générale dans la Vallée de Josaphat.