Page:Vibert - Pour lire en automobile, 1901.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 255 —

jeune âge… et elle se perdait dans ses rêveries de nouveau. Nous déjeunâmes cependant assez gaiment et au dessert elle me montra la dernière lettre du prince. C’était une série de gros bâtons carrés, droits, lourds qui auraient révélé une origine roturière, s’il ne s’était agi d’un prince russe.

— Un noble du moyen âge, lui dis-je en riant.

— C’est possible, mais bien curieuse son écriture… Et nous sortîmes par le perron, prendre le café le long du château, bien à l’ombre, devant la grande cour sablée.

Je fumais tranquillement un cigare et elle une cigarette du Levant, dans cet état de béatitude qui suit un bon déjeuner, lorsque tout à coup un jeune poulain, échappé de la ferme, vint vers nous en gambadant, comme un jeune chat. La petite fille du fermier courait derrière pour le reprendre par son licou et aussitôt à portée de la voix :

— N’ayez pas peur, il ne vous fera pas de mal, mais il est si rusé qu’il vient pour vous demander du sucre, le brigand.

— Laissez-le, dit Olympe, très amusée, et elle lui tendit un beau gros morceau de sucre que le cheval happa avec grâce. Il vint à moi et eut encore son morceau et nous riions de bon cœur devant les grâces juvéniles du jeune poulain, lorsque tout à coup reculant de trois pas, il se mit à dessiner avec le sabot de son pied gauche de devant de grandes barres dans le sable.

Cela dura bien une minute et nous étions fort étonnés tous les trois, y compris la petite fermière.