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Tout ce que fait Damon pour divertir ma peine,
Toute sa bonne chère est importune et vaine.
Je suis honteux de voir qu’il faille ingratement
Faire mauvaise mine à son bon traictement ;
Que je ne puisse en rien desguiser ma tristesse,
Quoy qu’à me divertir son amitié me presse.
Aussitost que je puis me dérober de luy,
Que je trouve un endroit commode à mon ennuy,
Afin de digérer plustost mon amertume,
Je la fais par mes vers distiler à ma plume.
Par fois, lors que je pense escrire mon tourment,
Je passe tout le jour à resver seulement,
Et dessus mon papier, laissant errer mon ame,
Je peins cent fois mon nom et celuy de ma dame.
De penser en penser confusément tiré,
Suivant le mouvement de mon sens esgaré.
Si j’arreste mes yeux sur nos noms que je trace,
Quelque goutte de pleur m’eschappe et les efface,
Et sans que mon travail puisse changer d’object,
Mille fois sans dessein je change de project.
Toute ceste beauté, dans mes sens ramassée,
Tantost ses doux regards présente à ma pensée,
Quelquefois son beau teint, et m’offre quelquefois
Les œillets de sa lèvre et l’accent de sa voix ;
Tantost son bel esprit, d’une superbe image,
Tout seul de mes escrits veut recevoir l’hommage.
Confus, je me retire, et songe qu’il vaut mieux
Consoler autrement et mon ame et mes yeux.
Je m’en vay dans les champs pour voir s’il est possible
Qu’un bien-heureux hazard me la rendist visible ;
Je m’en vay sur les bords de ces publiques eaux
Dont le dos nuict et jour est chargé de batteaux,
Et tout ce que je vois descendre sur la rive
Me fait imaginer que ma Caliste arrive.
Bref, contre tout espoir mon œil n’est jamais las