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Perde tout ce que donne et le mont et la plaine :
Ce mois qui maintenant retient cette beauté
A bien plus d’injustice et plus de cruauté,
Car l’hyver, au plus fort de sa plus dure guerre,
Nous oste seulement ce que nous rend la terre,
N’emporte que des fruicts, n’estouffe que des fleurs,
Et sur nostre destin n’estend point ses malheurs,
Ou la dure saison qui m’oste ma maistresse
Toutes ces cruautez à ma ruine adresse.
Mon front est plus terny que des lys effacez,
Mon sang est plus gelé que des ruisseaux glacez ;
Bloys est L’enfer pour moy, la Loire est le Cocite ;
Je ne suis plus vivant si je ne ressuscite.
Vous qui feignez d’aimer avecques tant de foy,
Trompeurs, vous estes bien moins amoureux que moy ;
Courtisans qui partout ne servez que de nombre,
Qui n’aymez que le vent, qui ne suivez que l’ombre.
Qui traisnez sans plaisir vos jours mal asseurez,
Pendans chez la fortune à des liens dorez.
Vous savez mal que c’est des véritables peines
Que donne un feu subtil qui fait brusler les veines.
Esclaves insensez des pompes de la cour,
Vous sçavez mal que c’est d’un véritable amour.
Infidelle Alidor, tu feins d’aymer Sylvie,
Mais tu perds son object et ne perds point la vie.
Tu chasses tout le jour, tu dors toute la nuict.
Et tu dis que par tout son image te suit,
Qu’elle est profondement empreinte en ta pensée,
Et que ton ame en est mortellement blessée.
O toy qui ma Caliste aujourd’huy me ravis.
Qui vois ce que je sens, qui sçais comme je vis.
Malicieux Destin qui me sépares d’elle.
Tu respondras pour moy si je luy suis fidelle,
Si depuis son départ j’eus un mauvais dessein,
Si je n’ay tousjours eu des serpens dans le sein.