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Adoreroit son front tout coupé de sillons ;
Ny son taint sans esclat, ny ses yeux sans lumière,
Ne pourroient rien changer de mon humeur première.
Que son ame et son corps soient tous couverts d’horreur,
Je veux suivre par tout mon amoureuse erreur.
Toy, quelque changement dont la Fortune essaye
De voir en m’affligeant si ta constance est vraye,
Cloris, rend la pareille à ma ferme amitié
Et ne me manque point de foy ny de pitié.
Je sçay bien qu’aisément tu te pourrois desdire
Sans qu’il arrive en moy quelque chose de pire,
Pource que mes défauts sont des occasions
Pour destourner de moy tes inclinations,
Mais, pour diminuer ceste amitié sacrée
Et pour rompre la foy que tu m’as tant jurée,
Mes imperfections sont un foible subjet,
Car ton amour n’a point ma vertu pour objet.
On dit que les meschans, qui d’une aveugle rage
Pressent ceux qui jamais ne leur ont fait d’outrage,
Suivans un naturel malin qui les espoint,
Persecutans plus fort et ne pardonnans point,
Ne démordent jamais de leur fausse vengeance
Quand leur courroux n’a point pour objet une offense.
Ainsi ton amitié, qui n’a pour fondement
Que de suivre envers moy sa bonté seulement,
Qui ne sçauroit trouver par où je suis capable
De la moindre faveur, ny d’où je suis aimable,
Ne peut trouver aussi par où se destourner,
Ne peut trouver ainsi de quoy m’abandonner,
Et, sur ceste espérance où mon amour se fonde,
Je croy vivre et mourir le plus heureux du monde.