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Si son dernier mespris ne m’eust donné ma grâce,
Je m’en allois mourir comme mourut le Tasse.
Puis que j’en suis sauvé (car ces vers sont tesmoins
Que je ne l’aime plus, puis que je l’aime moins ;
D’un sommet relevé lors que le pied nous glisse
On tresbuche tousjours du faiste au précipice).
Puis que j’en suis dehors, je te laisse à choisir
L’object que tu voudras prescrire à mon désir,
Et, si tu veux complaire à ma dernière envie,
Cher Damon, prens le soin de gouverner ma vie.


ELEGIE.

Ne me fais point aimer avecques tant de peine ;
Dedans ma passion garde moy l’ame saine ;
Tiens le plaisir des vers dans la fureur d’Amour ;
Si j’ay souffert la nuict, console-moy le jour.
Quand tu m’auras blessé, permets que je souspire,
Et, quand j’ay souspiré, permets-moy de l’escrire.
Ce beau feu si subtil qui, pour nous faire aimer.
Vient dedans nostre sang afin de l’animer.
S’il est trop violent et s’il a trop de flame.
Il affoiblit le corps, il esblouyt nostre ame ;
Mais, lors qu’à petits traits le cœur en est espris,
Il nous en rend meilleurs les corps et les esprits.
Ainsi qui n’est saisi de cette rage extrême.
Qui prend la liberté de sçavoir ce qu’il aime,
Qui s’en fait obliger et ne se laisse pas
Abuser sottement à de légers appas.
Avec peu de travail il a bien tost sa proye,
Et de peu de souspirs il achepte sa joye.
Ainsi dans le tourment il trouve le bon heur,