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Je sens dans mes esprits se respandre une joye
Qui passe tous les biens que la fortune envoyé.
Si Dieu me faisoit roy je serois moins content,
L’empire du soleil ne me plairoit pas tant ;
Au sortir des plaisirs que ta beauté me donne,
Je foulerois aux pieds l’esclat d’une couronne,
Et, dans les vanitez où tu me viens ravir.
Je tiendrois glorieux un roy de me servir.
Sans toi pour m’enrichir nature est infertile,
Et pour me resjouyr Paris mesme inutile.
Toy seul es le trésor et l’object précieux
Où veillent sans repos mon esprit et mes yeux,
Et, selon que ton œil me rebute ou me flatte,
Dans le mien ou la joye ou la fureur esclatte.
Quand mes désirs, pressez du feu qui les poursuit,
Cherchent dans tes faveurs une amoureuse nuict,
Si peu que ton humeur refuse à mon envie.
Tu fais pis mille fois que m’arracher la vie.
Souviens toi, je te prie, à quel point de douleur
Me fit venir l’excez de mon dernier malheur ;
Combien que mon respect avecques des contraintes
Se voulut efforcer de retenir mes plaintes.
Tu sçais dans quels tourmens j’attendis le soleil.
Et par quels accidens je rompis ton sommeil.
Panché dessus les bords d’un gouffre inévitable,
Tu me vis supporter un mal insupportable.
Un mal où mon destin te faisoit consentir,
Quoy qu’il t’en preparast un peu de repentir.
Dans le ressentiment de ce cruel outrage,
Ma raison par despit esveilla mon courage.
Je fis lors un dessein de séparer de moy
Ceste part de mon cœur qui vit avecques toy,
De ne songer jamais à retrouver la trace
Par où desjà souvent j’avois cherché ta grâce.
Damon estoit tousjours auprès de mon esprit,