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Et la mémoire aussi ne le peut pas atteindre,
L’ombre de cet ennuy s’esvanouit si bien,
Que je m’en trouve quitte et n’y cognois plus rien.
Desloges, rien de tel jamais ne t’importune.
Jamais rien de pareil n’arrive à ta fortune,
Jamais tel accident n’esprouve ta raison.
Jamais un tel oiseau ne voile en ta maison.
Je sçay bien que ton ame, et sage et courageuse,
T’a fait voir la mer calme et la mer orageuse,
Et que ton front, esgal au changement des flots,
Vit mille fois changer le front des matelots ;
Quand ces desseins hardis te firent prendre envie
D’aller de là la Ligne abandonner ta vie ;
Je sçay dans quel danger la fortune t’a mis.
Et combien ta valeur a choqué d’ennemis ;
Que tu ris du malheur dont les mortels souspirent
Et des traits les plus forts que les destins nous tirent.
Mais tousjours vaut-il mieux vivre paisiblement,
D’autant que le repos vaut mieux que le tourment.
L’effort de la raison, et ce combat farouche
Contre nos sentimens quand la douleur nous touche,
Importune la vie, et son fascheux secours
Nuit plus que si le mal prenoit son juste cours.
Qui retient un souspir s’attriste d’avantage ;
Un torrent qu’on estouffe estourdit le courage ;
Et, si jamais l’objet de quelque desplaisir,
De ses tristes appas t’estoit venu saisir,
Plains-toy, ne force rien, fay que ton ame esclate,
Et sçache qu’en pleurant une douleur se flate.
Mais ces remèdes là ne te font pas besoin :
Les matières de pleurs te touchent de trop loin ;
L’astre qu’on veid reluire au poinct de ta naissance
D’une meilleure forme a basty ton essence ;
Le Ciel te voit tousjours le visage serain.
Comme si le Destin t’eust fait lame d’airain.