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ELEGIE.

Dans ce climat barbare où le destin me range.
Me rendant mon pays comme un pays estrange,
Desloges[1], je ne sçay quel estourdissement
Assoupit les aigreurs de mon bannissement.
Je n’ay point souspiré depuis l’heure funeste
Que je receus ce traict de la fureur céleste ;
Ton ame en fut touchée et gémit sous l’effort
Que me fit la rigueur de mon injuste sort.
Mon maistre en eut aussi de bien vives atteintes,
Et vos ressentimens n’attendoient pas mes plaintes.
Moy, voyant mon desastre avec vostre amitié,
J’eus un peu de douleur et beaucoup de pitié ;
Je sentis mon mal-heur, mais le soucy visible
De vostre affection me fut bien plus sensible ;
Mon cœur, pressé du mal, comme en deux se fendit.
Et sur luy tout mon fiel alors se respandit ;
Mon courage esblouy laissa tomber les armes.
Et mon œil fut honteux de n’avoir point de larmes.
Mais, depuis le moment que je te dis adieu.
Soudain que mes regards eurent changé de lieu,
Mon esprit rasseuré revint à sa coustume,
Et, soudain que mon cœur perdit son amertume,
Je vis tous mes soucis en l’air s’évanouir
Et trouvay dans moy-mesme en quoy me resjouyr.
L’object de ce chagrin m’eschappa comme un songe,
Et ce vray desplaisir me parut un mensonge.
Comme dans nos cerveaux l’image d’un penser
Quelquefois se dissipe et ne fait que passer,
L’imagination ne le sçait plus refeindre,

  1. Sans doute, M. des Loges, gentilhomme de la chambre. Sa femme fut célèbre par son esprit (V. Tallemant.)