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Avant que pour le ciel la terre il ne quittast.
Dans ce petit espace, une assez bonne terre,
Si je la puis sauver du butin de la guerre,
Nous fournira des fruicts aussi délicieux
Qui sçauroient contenter ou ton goust ou tes yeux.
Mais, afin que mon bien d’aucun fard ne se voile,
Mes plats y sont d’estain et mes rideaux de toile ;
Un petit pavillon, dont le vieux bastiment
Fut massonné de brique et de mauvais ciment,
Monstre assez qu’il n’est pas orgueilleux de nos tiltres ;
Ses chambres n’ont plancher, toict, ny portes, ny vitres,
Par où les vents d’yver, s’introduisans un peu,
Ne puissent venir voir si nous avons du feu.
Je ne veux point mentir, et, quand le sort avare,
Qui me traicte si mal, m’eust esté plus barbare
Et qu’il m’eust fait sortir d’un sang moins recogneu,
Je te confesserois d’où je serois venu,
Que j’ay bien plus de peine à descouvrir ma face
Devant tes yeux si beaux qu’à te monstrer ma race.
Dans l’estât où je suis, j’ay bien plus de raison
De te faire agréer mes yeux que ma maison.
Je jure les rayons dont ta beauté m’esclaire
Que le but de mon ame est le soin de te plaire.
Et que j’ayme si fort ta veue et tes propos
Qu’à ton suject la nuict est pour moy sans repos.
Et, sans faire l’amour à la façon commune.
Sans accuser pour toy le ciel ny la fortune,
Sans me plaindre si fort, j’ay ce coup plus profond
Que les autres mortels, j’ayme mieux qu’ils ne font ;
Et, si ton cœur n’en tire une preuve assez bonne.
De ces vers insensez que mon amour te donne,
Pour m’en justifier à tes yeux adorez.
Je respandray le sang d’où je les ay tirez,
Si ton humeur estoit de me le voir respandre.
Et qu’autrement ton cœur ne me voulust entendre.