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Ma veine est pour Cloris et sans fond et sans rive ;
Demain je descrirai ces yeux et ce beau front ;
Pour elle mon génie est abondant et prompt,
Et, pour voir que ma veine en ce subject tarisse,
Il faudra voir plustost que sa beauté périsse,
Que mes yeux dans ses yeux ne treuvent plus d’amour,
C’est-à-dire il faut voir périr l’astre du jour.
Car je ne pense point que ses attraicts succombent
Sous l’injure des ans ; tant que les cieux ne tombent,
Ils se renforceront au lieu de deffaillir,
Comme l’or s’embellit à force de vieillir,
Et comme le soleil, à qui le vieil usage
N’a point osté l’ardeur ny changé le visage.
Toutesfois il n’importe à mon contentement
Que mon soleil esclaire ou meure promptement,
Puis que desjà ma vie à demy consommée
Ne ne peut asseurer d’estre long-temps aymée,
Que je dois deffaillir à ce divin flambeau,
Et perdre avecques moy sa mémoire au tombeau.
Mais, tandis que le ciel me souffrira de vivre
Et que le traict d’amour me daignera poursuivre.
Je me veux consommer dans ce plaisir charmant
Et me resous de vivre et mourir en aymant.
Je sçay bien que Cloris ne me veut pas contraindre
Au soin perpétuel de servir et de craindre ;
Qu’elle a des mouvemens sujects à la pitié,
Et qu’au moins sa raison songea mon amitié.
Cloris, si je venois, aveuglé de tes charmes,
Le cœur tout en souspirs et les yeux tous en larmes,
Demander instamment un amoureux plaisir.
Je croy que ton amour m’en laisseroit choisir.
Maintenant que le ciel despouille les nuages,
Que le front du printemps menasse les orages,
Que les champs comme toy paroissent embellis
De quantité d’œillets, de rozes et de lis,