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Regarde en mon esprit où j’ay mis ton tableau ;
Lors tu verras en moy quelque chose de beau :
Tu te verras logée en un petit empire
Où l’esprit de l’amour avecques moy souspire ;
Il se tient glorieux de recevoir ta loy,
Et semble qu’il poursuit mesme dessein que moy.
Si je vay dans tes yeux, il y va prendre place ;
Je ne voy là dedans que ses traicts et ma face.
Je doute s’il y fait ou mon bien ou mon mal,
Et ne sçay plus s’il est mon maistre ou mon rival.
Je cognois bien l’amour, je sçay qu’il est perfide,
Et, si pour le chasser je suis un peu timide,
Je luy feray tousjours un traictement humain,
Puis que je l’ay receu d’une si bonne main,
Puis que c’est toy, Cloris, après l’avoir fait naistre,
Qui l’as mis dans mon ame, où ton œil est le maistre,
Où tu vis absolue en tes commandemens,
Où ton vouloir préside à tous mes sentimens.
C’est par toy que ces vers, d’une vaine animée,
S’en vont à ma faveur flatter la Renommée ;
Mais je dirai partout que tes seules beautez
Ont esté le démon qui me les a dictez,
Et, tant que tes regards luiront à ma pensée,
Sans ouvrir une veine aucunement forcée.
Ma muse se promet de mériter un jour
Que ses vers soient nommez les fruicts de ton amour.
Autant que ton humeur ayme la poésie,
Je te prie, ô Cloris, ayde ma frénésie,
Et, puisque je m’engage à ce divin project,
Ne te lasse jamais de me servir d’objet.
Aujourd’huy donne-moy tes beaux cheveux à peindre,
Tu verras une plume au Pactole se teindre
Et d’une lettre d’or graver, selon mes vœux,
Mon ame entrelacée avecques tes cheveux.
Je ne veux point laisser ma passion oysive,