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Et de tant de beautez qui fuient les maistresses
De l’aisné de Saturne on en fait des Déesses,
Qui n’ont esté pourtant, non plus que leur amant,
Que le triste butin d’un mortel monument.
Mais, d’autant que l’amour est le bien de la vie
Qui seul ne peut jamais esteindre son envie,
Qui tousjours dans la peine espère le plaisir,
Qui dans la résistance augmente le désir.
Et que les sentimens de ceste douce flame
Suivent jusqu’à la fin les derniers traits de l’ame,
On a creu de l’amour qu’il estoit immortel.
Et qu’aussi son subject ne peut estre que tel.
Ainsi ces Dieux payens furent ce que nous sommes,
Ainsi les vrais amans seront plus que les hommes.
Pour moy, qui n’ay souffert que d’un jour seulement ;
Je n’oze m’asseurer de passer pour amant ;
Je ne sçay si l’Amour me croit de son empire,
Depuis si peu de temps qu’il voit que je souspire ;
Il faut bien que ce soit un objet violent.
Pour me donner si tost un désir si bruslant,
Ou que mon ame soit d’une matière aisée
Et d’une humeur bien prompte à se voir embrasée.
Ce feu brusle si viste à force qu’il me plaist
Qu’à peine ay-je loisir de regarder qu’il est.
Les Dieux, qui peuvent tout avec les Destinées,
S’aident de mille maux et de beaucoup d’années,
Et faut que des soleils l’un l’autre se suivans
A force d’esclairer esteignent les vivans,
Qu’un siècle, ce flambeau, passe sur nostre vie,
Et Cloris d’un traict d’œil me l’a desja ravie.
Mes sens, enveloppez dans un profond sommeil,
Ne sçavent plus que c’est des clartez du soleil ;
Mes premiers sentimens sont dans la sépulture ;
Ton amour, ô Cloris, a changé ma nature ;
L’esclat des diamans ny du plus plus beau métal,