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sujetir. En un mot, ma société n’est bonne qu’à ceux qui ont la hardiesse de vivre sans artifice. Le fonds de mon anie a des amorces assez puissantes pour ceux qui osent vivre librement avec moy, et qui se peut adventurer de me cognoistre ne se sçauroit deffendre de m’aymer. J’ay sans doute trop de liberté à reprendre les fautes d’autruy ; peu de gens ont ce malheur. Mais je ne trouve que moy qui se sente obligé des censures des autres : ce n’est pas tant de la docilité de mon esprit et de la facilité de mes mœurs que par une coustume d’estre repris : car les moindres ou de condition ou de mérite oni ceste permission sans me fascher. Ceste patience de souffrir tant de réprimandes me donne bien Timportunité d’en recevoir souvent d’injustes : mais j’en tire aussi l’avantage de recognoistre beaucoup de choses qu’on blasme bien à propos. Ce petit ramas de mes dernières fantaisies que je présente aujourd’huy, moins pour l’ambition d’accroistre mon honneur que par la nécessité de le sauver, est une matière assez ample aux critiques ; mais, puisque ce n’est pas un crime que de faire de mauvais vers, je suis desjà tout consolé de la bonté des miens. Si Dieu me faisoit jamais la grâce de traiter des matières sainctes, comme mon employ seroit plus digne, mon travail seroit plus soigneux, et, quoy qui me puisse aujourd’huy réussir de favorable pour mon ouvrage si peu estudié, je ne m’en flatteray pas beaucoup : car je sçay bien qu’un jour je me repentiray de ce loisir que je devois donner à quelque chose de meilleur, et, d’une raison plus meure, considérant les folies de ma jeunesse, je seray bien aise d’avoir mal travaillé en un ouvrage superflu et de m’estre mal acquité d’une occupation nuisible.

THEOPHILE.