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Ce pauvre fils à qui vous voulez tant de mal
Vous verroit transformé de censeur en rival.
On ne sçauroit dompter la passion humaine ;
Contre amour la raison est importune et vaine :
Tousjours l’objet aimable a droict de nous charmer
Lors qu’on est en estât de le pouvoir aimer ;
L’ame se voit bien tost d’une beauté forcée
Par le rapport des yeux avecque la pensée.

Narbal.

Ton esprit tient encor un peu de la saison
Qui ne voit point meurir les fruicts de la raison.
Moy, qui suis bien guery de ceste humeur volage,
Ayant déjà passé tous les degrez de l'aage,
Je cognois mieux que toy la vie et le devoir,
Et bien tost mieux que toy je luy feray sçavoir.
Aymer sans mon congé , et s’obstiner encore
D’un amour qui le perd et qui me deshonore !
D’un ennemy mortel la fille rechercher !
Je t’ayme mieux le cœur hors du sein arracher.
Tu démordras, mutin ! Je te feray cognoistre
Le respect que tu dois à ceux qui t’ont fait naistre,
Et que tu ne dois point suivre ta passion,
Ny faire des desseins sans ma permission !

Lidias.

Quand on s’engage au sort d’une pareille affaire,
Une permission n’est jamais nécessaire.
On n’y sçauroit pourvoir quand c’est un accident ;
A cela le plus fin est le plus imprudent.
On ne demande point congé d’une advanture ;
S’il en faut demander, c’est donc à la nature,
Qui conduit nostre vie, et s’adresser aux Dieux,
Qui tiennent en leurs mains nos esprits et nos yeux.

Narbal.

Ne sçait-il pas qu’il est obligé de me plaire ?