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Du mouvement des sens ny des traicts du visage.
Sans ceste passion, les plus lourds animaux
Cognoistroient mieux que nous et les biens et les maux.
Nostre destin seroit comme celuy des arbres,
Et les beautez en nous seroient comme des marbres
En qui l’ouvrier, gravant l'image des humains,
Ne sçauroit faire agir ni les pieds ny les mains.
Un bel œil dont l'esclat ne luit qu’à l'advanture,
C’est comme le soleil que cachoit la nature
Auparavant qu’il fust entré dans ses maisons
Et qu’il peust discerner la beauté des saisons.
Moy, je croy seulement depuis l’heure première
Que l’amour me toucha, d’avoir veu la lumière,
Et que mon cœur ne vint à respirer le jour
Que dès l’heure qu’il vint à souspirer d’amour ;
Et combien que le ciel fasse couler ma vie
Dans ceste passion avec un peu d’envie,
Que mille empeschemens combattent mes desirs
Et qu’un triste succez menace nos plaisirs,
Que les discors mutins d’une haine ancienne
Divisent la maison de Pyrame et la mienne,
Qu’hommes, ciel, temps et lieux, nuisent à mon dessein,
Je ne sçaurois pourtant me l’arracher du sein,
Et quand je le pourrois je serois bien marrie
Que d’un si cher tourment mon ame fust guerie.
Une telle santé me donneroit la mort :
Le penser seulement me fasche et me fait tort.

Bersiane.

Comment vous estre ainsi de nous tous esloignée !
Osez-vous bien aller sans estre accompagnée ?
Tout le monde au logis est en peine de vous,
Et surtout vostre mère en est en grand courroux.

Thisbé.

Pourquoy cela ? ma vie est-elle si suspecte ?