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Ou tu rendras ton amitié coulpable.
Voy donc, de grâce, avant que te venger,
Que ton amour, ou mon crime, est léger ;
Que j’ay du droict assez pour me deffendre
Si tu ne prens plaisir de me reprendre :
Car en tel cas je me veux accuser
Et mon pardon moy-mesme refuser ;
Je diray tout pour flatter ta colère :
J’ay, si tu veux, assassiné mon père,
Mesdit des dieux, empoisonné l’autel ;
J’ay plus failly que ne peut un mortel.
Mais si jamais tu me donnois licence
De te presser à bien voir mon offence,
Tu jugerois que je suis trop puny
Pour un moment de ta grâce banny.
Lorsque le ciel de tes faveurs me prive,
Comment crois-tu, mon ange, que je vive ?
Ce qui me plaist de tous costez me fuit,
En toutes parts tout me choque et me nuit ;
Je ne vois rien que des objects funèbres ;
Comme mes yeux, mon ame est en ténèbres ;
Mon ame porte un vestement de dueil ;
Tous mes eprits sont comme en un cercueil.
Lors ma mémoire est toute ensevelie,
Mon jugement suit ma melancholie.
Tantost je prens le soir pour le matin,
Tantost je prens le grec pour le latin ;
Soit vers, soit prose, à quoyque je travaille,
Je ne puis rien imaginer qui vaille.
Prends en pitié ; redonne la clarté
A mon esprit, rends-luy la liberté.
Que me veux-tu ? je confesse mon crime ;
J’ay mérité que la foudre m’abysme.
Puisqu’il te plaist, je t’ay manqué de foy ;
Je me repens, et je ne sçay pourquoy.