Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/393

Cette page n’a pas encore été corrigée

Quelque soucy qui m’ayt enveloppé l’esprit,
En l’oyant proférer, ce beau nom me guérit ;
Mon sang en est esmeu, mon ame en est touchée,
Par des charmes secrets d’une vertu cachée.
Je la nomme tousjours, je ne m’en puis tenir ;
Je n’ay dedans le cœur aucun ressouvenir.
Je ne cognois plus rien, je ne voy plus personne.
Plust à Dieu qu’elle sceust le mal qu’elle me donne !
Qu’un bon ange voulust examiner mes sens,
Et qu’il luy rapportast au vray ce que je sens ;
Qu’Amour eust prins le soing de dire à ceste belle
Si je suis un moment sans souspirer pour elle,
Si mes désirs luy font aucune trahison,
Si je pensay jamais à rompre ma prison !
Je jure par l’esclat de ce divin visage
Que je serois marry de devenir si sage.
En l’estât où je suis, aveugle et furieux,
Tout bon advis me choque et m’est injurieux.
Je hay la liberté, j’ayme la servitude
Et à la conserver gist toute mon estude.
Quand le meilleur amy que je pourrois avoir,
Touché du sentiment de ce commun devoir,
A m’oster cet amour employeroit sa peine,
Il n’auroit travaillé que pour gaigner ma haine ;
En telle bienveillance un Dieu m’offenseroit,
Et je me vengerois du bien qu’il me feroit.
Qui me veut obliger, il faut qu’il me trahisse.
Qu’il prenne son plaisir à voir que je périsse.
Honorez mes fureurs, vantez ma lascheté,
Mesprisez devant moy l’honneur, la liberté.
Consentez que je pleure, aymez que je souspire.
Et vous m’obligerez de plus que d’un empire.
Mais non, reprochez-moy ma honteuse douleur ;
Dittes combien l’amour m’apporte de mal-heur ;
Que pour un faux plaisir je perds ma renommée,