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Mon seul object touche tes sentimens,
Je serois bien d’un naturel barbare.
Bien moins civil qu’un Scythe, qu’un Tartare,
Si je n’aymois le bien de ton amour
Plus chèrement que la clarté du jour.
Le ciel m’envoye un traict de son tonnerre.
Et sous mes pieds fasse crever la terre,
Dès le moment qu’un sort injurieux
De ma mémoire effacera tes yeux.
Helas ! comment trouveray-je en ma vie
Quelque subject qui m’en donnast envie ?
Quelle beauté me sçauroit obliger
A divertir ma flame ou la changer ?
Dedans les yeux où loge ma fortune
Venus a mis ses trois Grâces en une ;
Amour luy-mesme avec tous ses attraits,
Comme il est peint dans les plus beaux pourtraits,
Rapporte à peine une petite trace
Du vif esclat qui reluit dans la face ;
Et tes beaux yeux, où s’est lié mon sort,
Touchent les cœurs d’un mouvement si fort
Que, si le Ciel d’une pareille flamme
Nous inspiroit sa volonté dans l’ame.
Tous les mortels, d’une invincible foy,
Obeyroient à la divine loy.
Ton front paroist comme, auprès de la nue,
Paroist au ciel Diane toute nue.
Plus uny qu’elle, et qu’on ne voit gasté
D’aucune tache empreinte en sa beauté ;
Un teint vermeil, et frais comme l’Aurore
Lors qu’elle vient des rivages du More,
Sur ton visage a semé tant d’appas,
Qu’il faut l’aymer, ou bien ne te voir pas.
Amour, sçachant de quels traicts est pourveue
Caste beauté, s’est faict oster la veue ;