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N’ayme rien que ce joug, et tousjours s’estudie
A tenir en humeur sa chère maladie,
Ne se trouble jamais d’aucun soupçon jaloux,
Se mocque des aguests d’un impuissant espoux ;
Qu’il se trouve allégé par la moindre caresse
Des fers les plus pesants dont sa rigueur le presse,
Suive les mouvemens de ses affections,
Ne tasche de brider jamais ses passions !
Si tu veux résister, l’amour te sera pire.
Et ta rébellion estendra son empire ;
Amour a quelque but, quelque temps de durer,
Que nostre entendement ne peut pas mesurer.
C’est un fiévreux tourment, qui, travaillant nostre ame,
Luy donne des accez et de glace et de flame,
S’attache à nos esprits comme la fièvre au corps,
Jusqu’à ce que l’humeur en soit toute dehors.
Contre ses longs efforts la résistance est vaine ;
Qui ne peut l’éviter, il doit aymer sa peine.
L’esclave patient n’est qu’à demy dompté
S’il veut à sa contraincte unir sa volonté.
Le sanglier enragé, qui d’une dent poinctue
Dans son gosier sanglant mort l’espieu qui le tue,
Se nuit pour se deffendre, et, d’un aveugle effort,
Se travaille luy-mesme et se donne la mort.
Ainsi l’homme souvent s’obstine à se destruire
Et de sa propre main il prend peine à se nuire.
Celuy qui de nature, et de l’amour des Cieux,
Entrant en la lumière, est né moins vicieux.
Lors que plus son génie aux vertus le convie,
Il force sa nature, et fait toute autre vie ;
Imitateur d’autruy, ne suit plus ses humeurs,
S’esgare pour plaisir du train des bonnes mœurs ;
S’il est né libéral, au discours d’un avare
Il taschera d’esteindre une vertu si rare ;
Si son esprit est haut, il le veut faire bas ;