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Dans le tombeau de Troye où gisoient ses amis.
Jamais tes sentimens n’auront tant de tristesse,
Quelque pan de la terre où le soleil te laisse.
Tu tiens esgallement et propice et fatal
Ou la terre estrangere, ou le pays natal.
Ha ! que j’ay de regret de n’avoir veu le monde
Par où ta jeune ardeur te promena sur l’onde !
J’escrirois en beaux vers le climat et le lieu
Où ton bras attaqua les ennemis de Dieu.
Je serois glorieux d’avoir prins ton image,
À qui les mieux vantez viendroient faire un hommage.
Tu me dois accorder deux heures de loisir
Pour contenter icy mon curieux desir,
Me faire un long récit de toutes les traverses
Que t’ont faict tant de mers et de terres diverses.
Je sçauray jusques où la ligne tu passas,
Les hommes que tu pris, les lieux que tu forças,
Et ce combat naval où ton ardeur trop prompte
Fit rougir tous les tiens de cholere et de honte.
J’ignore ces hazards : tu me diras que c’est ;
Tu me diras comment un naufrage se faict.
Le sanglant desespoir dont le vaincu se ronge
Et les dangers hideux où le soldat se plonge,
L’estat d’un homme libre après que le destin
Au Comité cruel l’a donné pour butin,
Avec combien d’horreur il se range à la chaîne
Et force l’innocence à recevoir la peine.
A voir tous ces objects d’horreur et de pitié.
Je croy qu’on en devient plus dur de la moitié:
C’est ce qui rend ainsi le marinier farouche
Du mal de son prochain moins esmeu qu’une souche,
Et sur nos passions nostre desir vainqueur
Enfin dispose à tout et les yeux et le cœur.
Une lente coustume avec le temps emporte
De nostre naturel l’affection plus forte;