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Estre sçavant, chez luy, c’est une honte, un crime :
Il croit que c’est tout un qu’un charme ou qu’une rime.
Si Dieu m’avoit jamais à tel maistre donné,
Je pourrois bien jurer que je serois damné,
Et croy que mes destins auroient moins de cholere
De m’avoir attaché des fers dune galere,
Bourellé comme ceux que tu voyois ramer
Quand un si beau destin te porta sur la mer.
Neptune est effroyable : il tempeste, il escume ;
Sa fureur jusqu’au Ciel vomit son amertume,
Trahit les plus heureux et leur fait un cercueil
Tantost d’un banc de sable et tantost d’un escueil ;
Ses abois font horreur, et mesme en la bonace
Par un silence affreux ce trompeur nous menace.
Il a devant tes yeux faict blesmir les nochers,
Obscurcy le soleil et fendu les rochers ;
De ses flots il faict naistre et mourir le tonnerre,
Et de son bruict hideux gemir toute la terre.
L’image de la mort passe, au travers des flots,
Dans les cœurs endurcis des plus fiers matelots.
Ces frayeurs ne t’ont point esbranlé le courage :
On t’a veu, tousjours ferme au plus fort de l’orage,
D’un jugement robuste au milieu du danger,
Tenir indifferent un sepulchre estranger,
Et les lasches accens d’une voix estonnée
Ne t’ont point faict gemir comme faisoit Ænée.
Bien que moins rudement Neptune l’assaillit,
Tout heros qu’il estoit, le cœur luy défaillit ;
Il eut peur de la mort, et se remit en l’ame
Ses compagnons bruslez dans la troyenne flame,
Envia leur destin, et d’un esprit peureux
Pour estre hors du péril, les nomma bien-heureux,
Se fust voulu rebattre avec l’ombre d’Achille,
Se plaignoit de survivre aux cendres de sa ville
Et de n’avoir l’honneur que ses os fussent mis