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Sans fard et sans respect t’escrit la vérité ;
Et, sans aucun dessein d’offencer ou de plaire.
Je fais ce que mon sens me conseille de faire.
J escrirois le démon qui du train de tes jours
Si difficilement guidoit le jeune cours,
Et l’astre dont tu vis la haine si puissante
Opposer tant d’effort à ta vertu naissante ;
J’escrirois ton destin avant le doux moment
Que pour te faire serf le Ciel te fit amant ;
Mais nostre jeune temps laisse aussi peu de marque
Que le vol d’un oyseau ou celuy d’une barque,
Et les traicts de ces ans confusément passez
Pèsent au souvenir s’ils n’en sont effacez.
Laissant ces jours perdus jusqu’aux premières forces
Que l’amour vient tenter de ses douces amorces,
Mes vers ne discourront que depuis le bon jour
Que tu te vins ranger à l’empire d’amour,
Et, suyvant ta fureur, tu penseras peut-estre
Que dès lors seulement tu commenças à naistre.
Que tu ne fus vivant ny d’esprit, ny de corps,
Que depuis qu’un bel œil te donna mille morts.
Les aymables attraicts dont les yeux d’une dame
Firent naistre l’ardeur de ta première flamme
Furent bien tost vainqueurs, et l’amour qui le prit,
Au lieu de te desplaire, obligea ton esprit.
Ton naturel ployable, à la première atteinte,
Souspira son tourment d’une si douce plainte,
Et si modestement permit d’estre arresté,
Qu’il sembla que tes fers estoient ta liberté :
Tant le sort de ta vie, autrement malheureuse.
Se trouve pour ton bien de nature amoureuse !
En ce destin les maux que le Ciel a versez
Dans l’erreur de tes jours sans cesse traversez
Ont trouvé leur remède, et n’est peine si forte