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ELEGIE, À M. DE C…


Quand la Divinité, qui formoit ton essence,
Vid arriver le temps au poinct de ta naissance,
Elle choisit au Ciel son plus heureux flambeau,
Et mit dans un beau corps un esprit aussi beau.
La trempe que tu pris en arrivant au monde
Estoit du feu, de l’air, de la terre et de l’onde,
Immortels elemens, dont les corps si divers,
Estrangement meslez, font un seul univers,
Et durent enchaisnez par les liens des ames,
Selon que le destin a mesuré nos trames :
Triste condition, que le sort plus humain
Ne nous peut asseurer au soir d’estre demain !
Ainsi te mit nature au cours de la fortune.
Aussi subject que tous à ceste loi commune,
D’un naturel fragile et qui se vient ranger
À quel poinct que l’humeur le force de changer,
Impatient, tardif, injurieux, affable,
Despiteux, complaisant, malicieux, aymable,
Serf de tes passions et du commun soucy,
Des vices des mortels et des vertus aussi,
N’attens point qu’en ton nom honteusement j’escrive
Ce qui ne fut jamais sur la troyenne rive,
Que je t’appelle Achile, et que tu sois vanté
Par tant de faux exploits qu’on a jadis chanté :
Ces poëtes resveurs, par leur plume hypocrite,
De tous ces vieux heros ont trompé le mérite,
Et sans aucune foy, laissant mille tesmoins,
Ils nous en disent plus, mais en font croire moins :
Car, du rapport trompeur d’un demy-dieu qu’on nomme,
Je douteray s’il fut tant seulement un homme.
Mon esprit, plein d’amour et plein de liberté,