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Ce torrent glorieux ne daigne plus servir.
Je l’ayme de l’honneur qu’il rend à ta caresse,
Et luy veux faire part aux autels que je dresse.
Resvant sur son rivage après tes beaux escrits,
Tout à coup, dans l’object d’un penser qui m’a pris,
Je disois, en voyant comme son flot se pousse :
Ainsi va la fureur d’un roy qui se courrouce ;
Ainsi mes ennemis, contre moy furieux,
M’ont rendu sans subject le sort injurieux,
Et si loing estendu leur orgueilleux ravage,
Qu’à peine sur les monts ay-je veu du rivage.
Mon exil ne sçauroit où trouver seureté :
Par tout mille accidens choquent ma liberté.
Quelques deserts affreux, où des forests suantes
Rendent de tant d’humeur les campagnes puantes,
Ont esté le séjour où le plus doucement
J’ay passé quelques jours de mon bannissement.
Là, vrayment, l’amitié d’un marquis favorable,
Qui n’eust jamais horreur de mon sort déplorable,
Divertit mes soucis, et dans son entretien
Je trouvay du bon sens qui consola le mien.
Autrement, dans l’ennuy d’un lieu si solitaire,
Où l’esprit ny le corps ne trouvent rien à faire,
Où le plus philosophe, avecques son discours,
Ne sçauroit sans languir avoir passé deux jours,
Le chagrin m’eust saisi, sans une grande chere
Qui deux fois chaque jour enchantoit ma misere :
Car je n’ay sceu trouver, de l’humeur dont je suis,
Un plus present remede à chasser mes ennuys.
Et si, comme tu dis, vous avez tous envie
De me faire passer un jour de douce vie,
Appreste des bons vins, mais n’en prends point d’autruy,
Car je sçay que ton pere en a de bon chez luy.
Il m’a bien obligé du salut qu’il m’envoye.
Dis-luy que cest honneur m’a tout comblé de joye,