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Et des ruses d’une beauté
Me sembloit ignorer l’usage,
Me surprit d’un si doux malheur
Et m’affligea d’une douleur
Si plaisante à ma frenaisie,
Que dèslors j’aymay ma prison,
Et delivray ma fantasie
De l’empire de ma raison.

     Contre ce coup inevitable,
Qui me mit l’amour dans le sein,
Je ne sçay prendre aucun dessein
Ny facile, ny profitable.
Embrazé d’un feu qui me suit
Par tout où le soleil me luit,
Je passe les monts Pyrenées,
Où les neiges, que l’œil du jour
Et les foudres ont espargnées,
Fondent au feu de mon amour.

     Sur ces rivages où Neptune
Fait tant d’escume et tant de bruit,
Et souvent d’un vaisseau destruit
Faict sacrifice à la fortune,
J’invoque les ondes et l’air ;
Mais, au lieu de me consoler,
Les flots grondent à mon martyre,
Mes souspirs vont avec le vent,
Et mon pauvre esprit se retire
Aussi triste qu’auparavant.

     Mes langueurs, mes douces furies,
Quel sort, quel Dieu, quel element,
Nous ostera l’aveuglement
De vos charmantes resveries ?
La froide horreur de ces forests,
L’humidité de ces marests,
Ceste effroyable solitude,