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ix
sur Théophile.


âgé que lui de quatre années, sortant des mains des jésuites, et disposé, à ce qu’il paroît (c’est lui qui le dit), à faire beaucoup de sottises. Ce jeune homme étoit Jean-Louis Guez, d’Angoulême, alors tout simplement fils d’un valet qui avoit amassé du bien. Il conserva le bien et quelque chose de la bassesse de son origine ; mais il devint el señor Balzac l’unico eloquente, et de plus un homme de condition retiré à la campagne. À cette époque, il se plaisoit aux saillies du Gascon, et ne lui proposoit pas encore sans doute de réformer son style, encore moins sa conduite. Il paroît même que les deux amis n’échappèrent pas aux médisances qui plus tard s’attachèrent à Des Barreaux d’une manière indélébile. Le mauvais goût italien ne dominoit pas seulement dans la littérature. Quoi qu’il en soit, les deux amis firent, en 1612, un voyage dans les Pays-Bas, cette terre promise des libres penseurs. Ils ne paroissent en avoir rapporté que des règles pour s’enivrer et l’usage du pétun. « Tous ces messieurs du Pays-Bas ont tant de règles et de cérémonies à s’ennyvrer que la discipline m’en rebute autant que l’excez. Je me laisse facilement aller à mon appétit ; mais les semonces d’autruy ne me persuadent guère, et le mal est qu’estant une fois engagé à la table le vin pipe insensiblement, et les altérations du corps vous mettent l’esprit hors de gamme, si bien que les resolutions qu’on faisoit de se retenir de boire s’oublient en beuvant, et chacun se picque d’abbatre son compagnon. » Ils conservèrent cependant d’autres souvenirs de leur voyage que ceux « d’écuelles cassées, de muids de vin vomis ou renversés, de ronflemens en musique, d’odeur de tabac, de chandelles allumées comme devant des morts… » Balzac reçut du bâton ; nous ignorons si c’étoit bois de grume ou bois de marmenteau ; Théophile tira son épée. Ces deux circonstances peignent les deux hommes. Balzac crut peut-être dès lors que son ami tailloit sa plume avec son épée ; mais le gendre du docteur Baudius infligea à Balzac un châtiment sous lequel celui-ci auroit bientôt succombé