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cultivés avec succès, et la paix et la justice assurées aux peuples groupés sous son sceptre, leur apparut comme dans un rêve. Aussi, dès que le tumulte des guerres et des révolutions se fut apaisé, l’imagination du peuple et des poètes s’empara de ce règne et de ses principaux épisodes ; de là naquit le Charlemagne de la légende, dont la Chronique du faux Turpin nous a conservé le portrait.

Ce n’est certainement pas dans les poèmes éclos aux xie et xiie siècles que Primat puisa les éléments de son histoire de Charlemagne. Il savait trop, comme au reste ses contemporains lettrés, combien ces poèmes, fruits de l’imagination, étaient mensongers, et avec quel soin on devait les bannir de toute œuvre historique sérieuse. Néanmoins, d’une manière indirecte, la légende influença fortement les esprits même les plus pondérés et les plus éclairés du moyen âge. Vivant dans un monde imprégné de surnaturel et dans lequel on attribuait habituellement, comme le témoigne la Légende dorée, les faits les plus extraordinaires et même les plus invraisemblables aux héros et aux saints, il leur était difficile de faire une exception pour un homme comme Charlemagne. C’est cette mentalité qui peut seule expliquer comment des intelligences cultivées, tels que Vincent de Beauvais dans son Speculum historiale[1] et Primat dans les Grandes Chroniques, acceptèrent les fables du Voyage à Jérusalem et de la Chronique du faux Turpin. Avant de les étudier et de montrer comment Primat fut amené à les insérer dans son œuvre, nous passerons d’abord en revue

  1. Au tome IV de sa Bibliotheca mundi (éd. de Douai, 1624, in-fol., liv. XXIV, p. 962-971), qui forme le Speculum historiale, Vincent de Beauvais, pour le règne de Charlemagne, donne presque exclusivement des extraits du Voyage à Jérusalem et la Chronique de Turpin.