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doux yeux longs, modeste et gracieuse. Elle s’avançait de loin. Ses pieds blancs résonnaient de mille anneaux. Sa voix était comme l’abeille qui s’enivre à la coupe de la rose. Les bengalis allaient boire le miel de ses lèvres, et toute sa beauté rayonnait dans le cœur du jeune homme. Elle disparut. En vain depuis ce jour Maitreya a-t-il cherché, en méditant sur l’Essence des choses, à effacer de son cœur ces pieds, ces lèvres roses, ces yeux doux et noirs, et il demande à Bhagavat d’être enfin délivré de l’amer désir qui trouble son repos.

Ce Maitreya de Leconte de Lisle n’a rien de commun avec son homonyme du Bhagavata-Purana. Est-il donc sorti tout entier de l’imagination du poète ? Non ; car, soit dans le Bhagavata-Purana, soit dans le Maha-Bharata, il a lu plusieurs histoires de pieux anachorètes dont les dieux éprouvent la vertu en leur envoyant des apsaras ou courtisanes célestes[1] ; elles les tentent : les uns succombent, les autres résistent, et ces histoires ne sont pas sans doute identiques à celle de Maitreya, mais elles lui ressemblent assez pour qu’on soit certain que Leconte de Lisle s’en est inspiré, ne serait-ce que pour tracer le portrait de la vierge dont Maitreya ne peut plus perdre le souvenir.

Auprès de Maitreya et de Narada, Leconte de Lisle nous montre un troisième personnage qui fait écho à leurs plaintes. C’est le plus triste des trois. Quels chagrins


  1. Voir, par exemple, dans le Maha-Bharata, traduction Fauche, t. III, p. 223, l’histoire de la séduction du fils de Prithâ par l’apsara Ourvaçî, qui échoue d’ailleurs dans sa tentative…