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en extase, à la vue de l’immensité. L’immobilité a cessé ; le mouvement existe. La fonction des messagers est remplie ; l’orateur a rempli sa mission ; les pivots sont fixés ; les rochers sont en place ; les sables sont posés. Les cieux tournent ; les cieux se sont élevés ; la mer remplit ses profondeurs ; l’univers est créé.


Tout n’est pas clair, certes, dans cette poésie barbare. Ce dieu Taaora, dont le nom, d’après Mœrenhout, signifie le Très-éloigné ou le Très-étendu, qu’est-il au juste ? Tantôt il semble rester distinct du monde après la création, et tantôt il semble se confondre alors avec lui. Tantôt il semble avoir formé l’univers de rien, et tantôt il semble avoir seulement organisé la matière. Une phrase du deuxième chant laisse même supposer qu’à l’origine ce créateur ou cet ordonnateur du monde n’a peut-être été que le Soleil, puisqu’il y est dit que le dieu est impuissant à associer les éléments tant que la lumière n’existe pas et que le monde est fait aussitôt que la lumière brille[1].

Malgré leurs obscurités, les deux odes cosmogoniques que chantaient les ancêtres de la reine Pomaré n’en ont pas moins une noblesse de pensée et une splendeur d’expres-


  1. Que Taaora a commencé probablement par être une simple personnification du soleil, c’est ce qui résulte, comme le fait justement observer Mœrenhout, d’un autre chant, où l’on voit le dieu s’unir avec les différentes parties de l’univers pour les féconder. Uni avec la femme déesse du dehors (la mer), il crée les nuages noirs et blancs et la pluie. Uni avec la femme-déesse de l’intérieur (la terre), il crée les premiers germes, les nuages des montagnes, l’homme. Uni avec la femme-déesse de l’air, il crée l’arc-en-ciel, les nuages rouges, la pluie rouge. Uni avec la femme-déesse du dedans (le sein de la terre), il crée les bruits souterrains. Cet être, qui pour former la pluie s’unit à la mer et qui pour former l’arc-en-ciel s’unit à l’air, quel est-il donc, s’il n’est pas le soleil ?