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la frontière, et il faut pourvoir la flotte de chiourmes, les hidalgos d’étriers ; il faut surtout acheter des traîtres. Et il n’y a plus d’expédients. Rançonner les couvents, traire les juiveries ? Du roc de Thâriq aux rocs des Asturies, on l’a déjà fait, sans y laisser rien. Don Simuel n’a pas même la ressource de passer au Comte : à la première occasion, il serait vendu. Par bonheur pour lui, pendant que se font ces réflexions (qui vous apprennent tant de choses sur les mœurs du temps), Abou-Sayd traverse la sierra, suivi de mulets lourds d’or et de pierreries. Bientôt le More est dépouillé, cloué au poteau, tué, et le dernier quatrain de la romance nous met sous les yeux la curieuse physionomie de l’argentier juif :


Don Simuel, pendant ceci, suppute et pèse
Sequins et diamants, perles et dinars d’or.
Il fait sa part, il rit, et son trouble s’apaise,
Car cette bonne aubaine a comblé le Trésor.


Dans cette reconstitution historique, si ample et souvent si précise, tout est-il exact ? On peut se demander si la sombre figure du Cruel n’a pas été un peu trop noircie. Le personnage a pris sans doute un rare relief. Et quand Leconte de Lisle lui fait infliger aux Mores un supplice d’un raffinement atroce, quand il lui fait donner l’ordre de tuer la reine de telle façon que le corps ne révèle pas une mort violente, s’il lui prête un surcroît de perfidie et de méchanceté, il s’autorise bien de l’esprit des vieilles romances. Mais dans celles-ci ne sent-on pas déjà beaucoup qu’elles ont été écrites peu après le triomphe des ennemis de don Pèdre ?