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le mari de Chimène ? Oui, sans doute. Mais c’était aussi parce que dans le Romancero du Cid, composé de pièces appartenant à des dates diverses, les romances consacrées à la fameuse vengeance et à ses suites sont les plus anciennes et comptent parmi les plus farouches. Elles devaient plaire à Leconte de Lisle, car il y trouvait des héros presque plus barbares que des Scandinaves agissant dans un décor presque aussi splendide que les bords du Gange.


Une de ces rudes poésies l’a particulièrement bien inspiré, celle que le traducteur français du Romancero intitule : Le Cid se présente devant son père après l’avoir vengé[1].


Diègue Laynez pleurant se tient assis devant sa table, versant des larmes amères et pensant à son affront. Et le vieillard agité, l’esprit toujours inquiet, faisait déjà lever de ses craintes honorables toute sorte de chimères, lorsque vint Rodrigue avec la tête du comte coupée, ruisselante de sang, qu’il tenait par la chevelure.

Il tire son père par le bras, le fait revenir de sa rêverie, et, avec la joie qu’il apporte, lui dit de cette façon :

« Vous voyez ici la mauvaise herbe afin que vous en mangiez de la bonne. Ouvrez les yeux, mon père, et levez le visage ; car voilà que votre honneur est assuré, et qu’il vous ressuscite de la mort avec la vie : sa tache est lavée malgré l’orgueil de l’ennemi. Maintenant il y a des mains qui ne sont plus des mains, et cette langue maintenant n’est plus une langue. Je vous ai vengé, Seigneur : car la vengeance est sûre quand le bon droit vient en aide à celui qui en est armé. »


  1. Damas Hinard, Romancero général ou Recueil des Chants populaires de l’Espagne, traduction complète ; Paris, Charpentier, 1844 ; t. II, p. 14.