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de fois on devait prier, et Al-Borak le déposa ensuite au lieu où elle l’avait pris.

Cette vision, qui fit murmurer les premiers adeptes de Mahomet le jour où il la leur raconta et qui faillit même, dit-on, ruiner son crédit, devint, au contraire, quand la religion nouvelle eut établi son autorité, un de ses dogmes les plus populaires. Les docteurs musulmans l’ont de cent façons racontée et commentée. Et l’on conçoit que, dans le principal poème qu’il consacrait à l’histoire de l’islamisme, Leconte de Lisle ait été tenté de décrire l’ascension d’Al-Borak. La vision du Prophète l’intéressait, d’ailleurs, non seulement par l’importance que les sectateurs de Mahomet finirent par y attacher et par l’influence qu’elle eut, dès lors, sur le développement de sa doctrine, mais encore parce qu’il y retrouvait les caractères que peut avoir l’hallucination dans le pays des mirages.

Voici donc ce qu’il a imaginé (l’invention est sans doute fort audacieuse, puisque les annalistes arabes ne nous racontent rien de semblable sur Mouça-al-Kébyr ; mais une fois le poète excusé d’avoir fait infliger au vieillard un supplice nouveau, l’hallucination qu’il prête à la foule devient très vraisemblable ; elle paraît la suite naturelle de tout ce qui précède) :

Le soleil couchant vient d’illuminer de ses rayons étincelants le guerrier dont la face est déjà transformée par le souvenir de ses combats héroïques. Alors, dans l’œil dilaté de la foule l’homme se transfigure. Ses haillons font place à une cotte d’acier. L’épée en main, il chevauche la créature auguste, aux lèvres de carmin, aux serres d’aigle, aux